Dernière demeure

Il me restait une chose à faire.
Aller chercher l'urne, et disperser les cendres...
C'est mon père qui devait aller les chercher.
Et puis... il avait l'air tellement perdu, tellement malheureux hier, que je lui ai proposé de le faire.
Donc... J'y suis allée cet après midi.

J'avais prévu d'aller chez le coiffeur avant, histoire de me changer les idées.
C'était très réussi.
Un petit vieux est arrivé, et la coiffeuse lui a dit "Bin M'sieur X, elle est pas la votre femme ?"
Ce à quoi il a répondu : "Elle est morte samedi".
Et puis il lui a raconté, et il a pleuré.
Ambiance ambiance, quand tu nous tiens....
J'étais pas très fière moi.....

En sortant de chez le coiffeur, je suis descendue au crématorium avec Monex.
A ce sujet, il a été extra. Tout le long.
Nous sommes arrivés à 17h15 ; bien en avance vu que ça ferme à 18h00...
Enfin... Je croyais !
Le jardin du souvenir ferme à 18h mais le crématorium à 17h... Et merde !
Mais ils ont été super et se sont quand même occupés de moi.
J'ai signé les papiers....
Puis suis allée chercher l'urne.
Il y a toute une mise en scène de faite.
Il y a une sellette sur laquelle l'urne est posée, avec la plaque du cercueil portant le nom, prénom, dates de naissance et de mort....
"Vous souhaitez récupérer la plaque ?"
Heu... Heu... Merde ! Ils voudraient quoi les autres ? Mon père, mon frère ?
.... 'tain mais pourquoi j'ai toujours des décisions à la con à prendre moi ???
.....
"Non".
La dame a mis l'urne dans un petit carton et me l'a donnée.
Et je suis sortie, en portant ma mère...
Oui je sais, l'idée est étrange, mais c'est ce qui m'a traversé l'esprit...

La veille, nous avions discuté de l'endroit où disperser les cendres.
C'est moi qui ai lancé le sujet. Pour changer...
J'ai émis l'idée de les disperser dans la mer.
Comme je veux....
Ou à la montagne ?
Comme je veux...
Putain vous faites chier hein !
Alors j'ai décidé : ce serait dans la mer.
Aaaah oui mais.... Où ???
"je sais pas" (mon frère)
'tain mais merde aide moi un peu ho !!!
Pffff !!!
J'ai donc décidé.
Et puis j'ai proposé à mon père de le faire.
Il m'a dit "C'est encore toi qui vas porter ça ??"
Bin oui.... Faut que quelqu'un le fasse, non ?

Ce serait donc dans la mer, à l'endroit que j'avais décidé.
Je voulais que sa dernière demeure soit belle. Que le panorama soit beau.
Certes c'est ridicule, j'en suis bien consciente. Mais comme pour tout le reste, c'est un hommage. C'est prendre soin d'elle une dernière fois, lui faire un dernier cadeau
Mon neveu, ma nièce, mon frère et Monex souhaitaient venir avec moi.
Nous avons marché à la recherche d'un bel endroit.
"Ici ?"
Haussement d'épaules de la part de mon frère....
Un peu plus loin : "Et là, t'en penses quoi ?"
Haussement d'épaules toujours...
'tain mais je vais vous planter là moi !!!
J'ai donc choisi le lieu.
Et j'ai demandé à mon frère qui le faisait.
Devinez qui a eu l'honneur de vider l'urne ?

Monex a pris une photo du panorama pour montrer à mon père l'endroit où nous allions disperser les cendres de ma mère.
Les montagnes enneigées derrière la mer, avec les lumières du bord de mer, la nuit tombant...
Il a ensuite pris en photo la rose que j'allais jeter à l'eau pour mon père....
Et puis je me suis approchée de l'eau, assise sur les rochers tout au bord de la mer.
Monex je crois m'a donné l'urne.
Que j'ai ouverte.
Je m'attendais à voir les cendres directement, mais non ; elles étaient dans un sac fermé d'une cordelette...
Putain que j'ai eu du mal à les dénouer ces cordelettes....
J'ai enfin vidé l'urne.... Les cendres se sont dispersées dans l'air puis dans l'eau, l'opacifiant.
Ce fut interminable. Je me demandais si ce n'était pas un puits sans fond...
J'ai ensuite jeté une rose pour mon père, une rose pour ma fille et une rose pour moi dans l'eau, au milieu de ce tumulte opaque.
Puis les autres ont fait de même....
Pendant que je me rinçais les mains... Une horrible impression (fausse) d'avoir les mains pleines de cendre ! (Je me suis lavé les mains dans la mer, puis deux fois au restaurant... c'est vraiment une impression horrible !)
Nous sommes restés là quelques instants... puis sommes partis.

Il ne reste maintenant plus rien de toute une vie ; même pas quelques cendres...

Et je me rends compte en écrivant ces lignes (que j'ai du mal à écrire, je ne vois pas très clair là.... c'est un peu embué) que je me suis blindée pendant des années.
Je me suis blindée pour supporter cette saloperie de maladie.
Et là, je peux enfin me relacher, me laisser aller.
Je vais enfin pouvoir faire mon deuil de ma mère...

Mais maintenant, j'aimerais bien un peu de bonheur...