30/06/2010

Que la cécité volontaire est pratique !

- Faut faire quelque chose ; on peut pas le laisser comme ça !!!
- Bin oui mais quoi ?
- Bah j'en sais rien moi ; je sais pas : lui parler, appeler son fils, j'en sais rien mais ça peut plus durer !!
- Bin.... Faudrait en parler aux autres...

- Faut faire quelque chose ; c'est de pire en pire !!
- Oui mais si on l'empêche de venir travailler, il se suicide. Il l'a dit à la médecine du travail.
- Oui mais on peut pas le laisser comme ça !!!
- Bin moi je suis pas pour faire quoi que ce soit. On peut pas le forcer à se soigner.
- Mais il ne se rend plus compte de rien !!!! Il regarde le tableau des horaires et 5 mn après, il appelle pour savoir à quelle heure il doit commencer !
Il ne se souvient plus de quel jour on est !
- Bin ouais
- Il s'endort à son bureau !
Haussement d'épaules....
- Il transpire qu'il en peut plus ; le matin à 9h00 il ruisselle déjà, ce matin il avait la goutte au nez !
Air navré...
- .... oh et puis merde !

Ca, c'était il y a quelques semaines, voire mois.

Y'a un type chez nous, oh ça fait bien 15 ans qu'il est dans la boite.
Il n'a jamais été le boute en train de service, n'a jamais mangé de clown au petit déjeuner.
Mais c'était quelqu'un de très pro, et de très engagé. Syndiqué, capable de défendre bec et ongle une personne qu'il ne pouvait pas blairer.

IL y a quelques années, il a perdu sa mère.
Bon....
Son père a du être placé car il perdait un peu la tête.
Pendant deux ans, ça n'a pas été l'enfer (par chance lache, il était placé loin), mais de temps en temps, la maison de retraite l'appelait pour lui dire que son père s'était échappé...
Et puis son père est mort.
Ca lui a foutu un coup, mais pas plus que ça ; son père devenait totalement sénile. Ca devenait pénible... (tiens ça me rappelle quelque chose....)

Sauf que... Bin sauf qu'il ne l'a pas si bien supporté que ça, finalement.
Je l'ai vu glisser dans l'alcool petit à petit, doucement mais sûrement....
Je lui en ai touché deux mots, mais....
Ses problèmes avec les enfants de sa compagne, et donc du coup avec sa compagne elle même n'ont pas arrangé les choses...
Sa compagne a fini par le quitter.

Lui qui était déjà dépressif s'est alors effondré.
Littéralement.
Moi à l'époque j'étais en mission en CI il me semble ; je n'ai donc pas suivi les détails.
Mais il a été absent environ un an.
Un an pendant lequel il a fait une tentative de suicide, est tombé et du coup a fait du coma, a été en maison de repos....
De temps en temps, il revenait quelques jours et hop, il rechutait et était à nouveau en arrêt....

Et puis il est revenu il y a disons... un an ? Plus?
Fragile, très fragile.
Au début, ça allait. Des hauts, des bas, nous on essayait de plaisanter un peu avec lui....
Et puis son état a recommencé à se dégrader.
Il avait un chien, qu'il a du donner. Ca lui a arraché le coeur.
Et foutu un coup par la même occasion.
Et isolé encore plus.

Et son état a commencé à empirer.
Ca a commencé à nous poser des problèmes au niveau des clients. Des réponses incohérentes, mal polies.....

Un jour, il n'est pas venu.
Vu son état, inquiets, on a appelé chez lui.
Pas de réponse.
Alors on a appelé les pompiers qui ont défoncé la porte de chez lui... et lui ont ainsi sauvé la vie.
Il avait eu un malaise.

Depuis quelques temps, il arrive en vascillant au bureau.
Non pas qu'il boive, mais il est dans un tel état de faiblesse et de drogue (par les anxyolitiques, etc...) qu'il ne tient presque plus debout.
De temps en temps, il se rattrape au mur, à une chaise....
Depuis quelques temps aussi, il empeste. A plusieurs mètres.
Réellement, lorsque j'approche, c'est en apnée.
Il ne se lave plus....
Sa voiture est de plus en plus abimée (je ne ferai pas de commentaire sur le fait qu'il conduise)....
Il s'endort au bureau, marche réellement au ralenti, ne mange pas le midi...
Il mange des chewing gums toute la journée mais n'en crache jamais un.
A la fin de la journée, il a un chewing gum qui tient à peine dans sa bouche !!

"Faut qu'on s'en occupe" dit la direction depuis des mois.
Bande de lâches, va....
Et moi, bin moi je dis plus rien puisque lorsque j'ai voulu faire quelque chose, les autres (DP, secouristes, CHSCT) ont refusé.

Hier, j'étais avec mon hotliner préféré, qui a la chaaaaance d'avoir son bureau à côté du malade.
Et tout d'un coup, on entend comme un bruit de choc ; quelqu'un qui se cogne quelque part.
Je tourne la tête et vois Malade qui vascille et chavire.
En même temps, un autre hotliner se précipite pour le soutenir et l'assoir dans son fauteuil.
Non sans mal, parce que le type fait quand même 1m80/85.
Malade était tout groggy.

Là... J'ai pété un cable.
Je suis allée chercher Tof (pourquoi Tof, tout simplement parce que nous sommes les deux secouristes de la boite) et lui ai demandé son avis.
Son air dubitatif a été "violent" pour moi.
- Bon moi j'en ai marre !!

J'ai sorti mon directeur de sa réunion et lui ai dit :
- Bon maintenant c'est Stop ! Ca peut pas durer ; Malade a encore fait un malaise, faut faire quelque chose. IL est hors de question que je ramasse sa cervelle dans les escaliers. Ca suffit là.
- Heu.... 
Et N+1 est allé voir Malade pour lui demander s'il voulait rentrer chez lui, et qu'il fallait qu'il voie un médecin.
- Non je verrai comment ça va cet après midi
a t'il vaguement soufflé.

Et les Délégués du Personnel qui se demandaient s'il fallait faire quelque chose.
'tain ça m'énerve ça.
C'est classique ça. Sous prétexte de ne pas se mêler de la vie du voisin, on ferme les yeux.
Et le jour ou quelque chose arrive, on dit "Ah si j'avais su...." ou "On aurait du faire quelque chose...."
Ce type, il n'a personne.
Pas de famille, pas d'amis.
Alors si NOUS on ne fait rien, QUI fera quelque chose ???

Comme j'ai (un peu) poussé ma gueulante, les DP ont appelé l'inspection du travail, pour se renseigner sur "que faire ?"
1. La responsabilité de ma boite est engagée ; c'est de la "non assistance à personne en danger".
Vlan, dans la gueule. Bien fait tiens !
2. Appeler les pompiers, et ensuite seulement, la médecine du travail.

Nous avons donc appelé les pompiers.
Le temps qu'ils arrivent, je l'observais, il "tournait de l'oeil" constamment.
Il a demandé deux gâteaux à un collègue... Il ne mange plus ! Il OUBLIE de manger !
A un moment, il a voulu poser son coude sur le bureau.
Il s'y est repris à au moins 7 ou 8 fois.
Ca fait des semaines, des mois, que c'est comme ça.
Et personne ne fait, ne dit rien !

Les pompiers sont arrivés et l'ont emmené.
Il était disons 11h30.
A 16h00, il revenait en taxi, prenait ses affaires et rentrait chez lui en voiture ( ! )
L'hôpital, n'ayant rien trouvé, l'avait relaché.
Bah ! Que voulez vous qu'ils trouvent dans son sang ?
C'est quoi déjà le marqueur de la dépression ?
Et le marqueur de l'hématome qui comprime le cerveau ???
Parce que tout le problème est là.
Un jour, il y a un an ? Plus ? Il est tombé, et un hématome s'est formé qui comprime son cerveau.
Seulement, il flippe tellement de se faire opérer qu'il ne le fait pas.
Et son état empire.

Lorsqu'il est revenu à 16h00, il s'était chié dessus.
Oui. Vous avez bien lu.

Ce matin à 9h00, il est arrivé... vêtu comme hier.
Y compris le pantalon souillé.
Quand même ; vous n'allez pas me dire qu'il a toute sa conscience et est encore capable de jugement !
Il ne mange plus, ne se lave plus, ne se change plus, et on le laisse comme ça ????
Pour moi, ce n'est même plus de la non assistance à personne en danger, c'est de la non assistance à humain !!!

Ca me fait bien rigoler quand on me dit "Koaaaa ???? Tu regardes pas les infoooooos ? Mais... Mais... Tu ne sais pas ce qu'il se passe dans le mooooonde !!"
"Non effectivement (quoi que), mais je sais ce qu'il se passe chez mes voisins..."
Tous ces gens bien pensants sont d'accord pour aider le pauvre malheureux qui vit à 5 000 km, faire un don (c'est pratique, ça n'engage à rien) ; mais quand il s'agit de s'occuper du voisin qui ne se lave plus, bin y'a plus personne !!! Lorsqu'il s'agit de prendre une décision et d'engager sa responsabilité, pfuitttt !

Alors "non", JE ne vais pas m'occuper de lui.
Mais il y a des actions à mener, que NOUS devons mener, étant ses seuls contacts.
Parce que sinon, un jour, il aura un accident (au passage il tuera une ou deux personnes en face de lui qui auront juste eu le tort de croiser sa route), et puis on dira d'un air grave et affecté : "Rha ! On aurait du faire quelque chose"
Et moi, je ne veux pas de ça.

Quelques soient les choix que l'on fait, c'est toujours mieux que de ne pas faire de choix.
 

8 commentaires:

  1. 100% d'accord avec toi, être attentif aux autres c'est un minimum je pense. Que faire : assistante sociale, peut-être?
    bisous

    RépondreSupprimer
  2. Le Génie de la lampe1/7/10 10:20

    On retrouve ici la Reine sauveteuse, la Reine au grand coeur.
    C'est très bien ce que tu as fait !!

    Biiiiizzzzzz

    RépondreSupprimer
  3. 100% d'accord, 110, 120%! Marre des autruches qui se donnent bonne conscience en disant: j'ai fait un don!
    Peu loquace et je m'en excuse, car pas encore sortie de cette mauvaise passe.
    Mille bises chocolatées (un peu fondues, car ça y est, on a chaud ici)! Impossible pour moi d'imaginer un départ, même à court terme... et pourtant, fin juillet j'aurais dû descendre près de Marseille!
    Prends soin de toi.
    Symphonie1

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour cette note qui réveille ... Le cas est grave, et visiblement (au sens 1e du terme) grave. Et je me demande comment, effectivement, cette cécité perdure, notamment son voisin de bureau. j'aurais pété un câble depuis longtemps je pense.

    La responsabilité "sociale" de l'employeur est effectivement engagée. Les relais, comme la médecine du travail, le mi-temps thérapeutique, c'est pas fait pour les chiens ... Mais tout le monde baisse les bras avant même d'avoir essayé ... j'ai vécu un peu la même chose avec une collègue "seulement" alcoolique et seule aussi (un fils parti aux EU, comme par hasard ...). On n'a moralement fait ce qu'on a pu. On s'est protégé aussi (les coups de tél à 23h parlant de coins arrondis au plafond, ça fatigue aussi ...). Je me souviens avoir essayé un électro choc avec elle au tél un jour où elle me tenait la jambe, ivre morte, alors que je lui répétais qu'un rdv pro m'attendait. Je lui ai renvoyé l'image de ce qu'elle était, je lui ai dit qu'elle me vomissait ds l'oreille. Le lendemain, elle est arrivée comme si de rien n'était. Je me demande à quel point elle se souvenait de la conversation. Seul, on est bien impuissant. C'est vrai d'une personne en détresse, c'est vrai quand, seul, on essaye d'aider une personne vivant un tel drame.

    bises Reine :))

    Bulles

    RépondreSupprimer
  5. @ U

    J'ai suggéré. Non ; dit.
    J'ai eu l'impression d'être le diable.... !!!

    RépondreSupprimer
  6. @ Mon Génie

    J'te parle plus à toi.
    T'es en vacances (c'est inadmissible) et en plus tu fais même pas un crochet pour me voir !

    Pffffttt !!

    RépondreSupprimer
  7. @ Sympho

    Ah ! Bin contente d'avoir de tes nouvelles ;-)
    Bon... le rétablissement est long, mais ça va dans le bon sens, non ?

    Plein de bises ensoleillées :-)

    RépondreSupprimer
  8. @ Bullettes

    Bin aujourd'hui, il était là à nouveau.
    Dans un état légèrement meilleur, mais....
    Bin personne a eu les couilles de lui dire "rentre chez toi".
    Marre d'être la seule à me battre.
    Les gens sont juste capable de parler, pas d'agir !

    BizBulles

    RépondreSupprimer

Moi, ce que j'en dis de ta note, c'est que...