Mon 1er cours de calligraphie chinoise

Internet, c'est formidable.
De saut de puce en saut de puce, on se retrouve à l'autre bout du monde, on se retrouve à faire des choses opposées à celles prévues, on se retrouve happé.

En cherchant des infos pour la colo de Miss Morue, je suis tombée sur le site des randos de ma région.
Et de là, j'ai atterri sur les fameux ateliers auxquels je me suis inscrite.
On part d'une colo de ski pour une gamine, on arrive à des ateliers d'arts asiatiques pour des adultes...

Lorsque je suis tombée sur ce site, il était trop tard pour m'inscrire aux ateliers qui m'intéressaient, et le programme des mois suivants n'était pas en ligne.
Je suis revenue régulièrement (tous les jours, c'est régulier ?) voir s'il y était.
Jusqu'à ce que via d'autres pages, je le trouve...

J'ai appelé, je me suis inscrite.
La femme qui m'a répondu était charmante. Pour moi, c'est important car ça donne l'impression qu'elle n'est pas là contrainte et forcée. Elle prend du plaisir à être là, et il y a de fortes chances pour que l'ambiance soit bonne.

J'avais proposé à Isacruche et Clo de m'accompagner.
Non pas qu'y aller seule me dérange, mais... je sais pas ; toujours ce besoin (idiot) de faire la locomotive....
Elles se sont dégonflées toutes les deux, et finalement, tant mieux.
Parce que lorsque je suis seule, je suis plus tournée vers les autres, forcément.
Alors si je veux ouvrir mes horizons, il faut... que je me tourne vers les autres. Et arrête de boucler dans mon milieu à moi rien qu'à moi.

Donc, aujourd'hui, grand jour...
Je dépose Miss Morue à son activité à elle, la laisse là à apprendre à l'animatrice comment on fait des origamis (oui, un comble !) et m'en vais, moi, à la mienne, d'activité.
20 km plus tard, me voilà arrivée.
(ah oui ; j'ai oublié de te dire mon Chat ; j'ai pas choisi hein ; mais c'est dans ton coin.... On va p't'être s'y croiser ??? HAHAHAHA !!! Rrrrr !)

Je me présente à l'accueil... Je suis la première.
En attendant l'heure (suis un peu en avance de 15 mn), je flane et regarde quelques belles photos, ainsi que la boutique du musée.
Soit dit en passant, je retiens qu'il y a de beaux cadeaux à faire, et moins chers qu'en boutique qui plus est !! Un comble ! (le deuxième du jour vous remarquerez).

Le moment tant attendu arrive enfin.
Nous sommes 6. 4 femmes et 2 hommes.
Le prof est un chinois "typique".
Je retrouve en lui l'allure de mon prof de japonais... un pull dans lequel il flotte, un jean dans lequel il flotte non moins, une grosse montre en métal, qui elle aussi flotte autour de son poignet fin, une pomme d'adam très prononcée, rasé...
Il a le visage serein et rieur.

J'observe notre groupe ; c'est amusant.
Il y a l'homme devant moi, la cinquantaine bien tassée, qui fait son autoritaire.
On est pas là pour rigoler !!
La femme à côté de moi, "preuve vivante de ce qu'est être libre" (sic)
La femme à côté d'elle, qui est arrivée en faisant des courbettes comme si elle était à la cour de l'empereur, mains jointes et s'inclinant...
Et un couple très sympathique, la soixantaine.
Ces deux là, je les déteste ; ils font des activités ensembleS... Encore une chose que j'aurais tellement aimé : partager.

Le prof commence à nous raconter comment est née l'écriture, en Chine, il y a 10 000 ans.
Les gens, lorsqu'ils voulaient poser une question aux dieux, allaient voir le chamane.
Celui ci prenait un plastron de tortue et le perçait de trous en fonction de la question.
Puis il le mettait au feu ; car le feu purifie et la fumée s'élève, emportant ainsi la question aux dieux.
Lorsque le chamane sortait la carapace du feu, elle était fendillée de part et d'autre.
Ces lignes formaient des dessins, que le chamane interprétait.
De là est née l'écriture en idéogrammes.
(c'était la minute culturelle du jour)

Au fur et à mesure que le prof parlait, tout me revenait.
Non pas "toute ma science", mais c'était comme la madeleine de Proust.
Sa manière de parler, sa vision du monde, son enthousiasme, son allure, les sujets abordés, les explications... Tout celà m'a ramenée dans l'atmosphère de mes années de japonais, avec mon admirable prof.
Un petit goût de nostalgie... Pourquoi aime t'on tant une langue ou une autre ? Je n'ai aucune raison objective d'être autant attirée par ces langues, ces civilisations.

Le prof est passé de table en table et a distribué à chacun un pinceau et versé de l'encre dans une coupelle.
Nous avons pris une feuille, et tracé un trait.
Tracer un trait... Ca n'a l'air de rien comme ça, mais tracer un trait harmonieux n'est pas chose facile.
Et puis... Un trait n'est pas QUE un trait. Un trait doit représenter l'équilibre, être flexible en étant solide, etc...
Lorsqu'on maitrise le trait, on maitrise le reste ; un peu comme lorsqu'on sait faire un pas, on sait faire les autres.
C'est pas moi qui l'ai dit, c'est le monsieur.

Ensuite, nous avons tracé quelques idéogrammes.
Le tracé des idéogrammes en question toujours expliqué, étayé... On voit les gens passionnés. D'ailleurs, l'atelier d'une heure a duré une heure trente.
J'ai bien sûr "espionné" mes deux voisines.
Là encore, c'était très amusant....
Les idéogrammes de la femme "libre" prenaient la page complète.
1 idéogramme = 1 page.
Incroyable !! Ou plutôt : gigantesque !
Quand à Miss Courbettes, c'était la fébrilité qui la caractérisait.
Elle a littéralement noirci deux pages de traits simples.

A la fin du cours, le prof nous a proposé, si on le souhaitait, d'écrire quelque chose pour nous, que nous puissions ramener chez nous.
Le 1er mot demandé, par le couple, fut "Le pardon"... J'en suis restée stupéfaite.
Le prof a dessiné l'idéogramme, puis daté (en chinois bien sûr), puis apposé son sceau.
Les sceaux doivent d'ailleurs être sculptés par leur détenteur.
Madame "liberté" a demandé.... La liberté. Ce à quoi le prof a répondu que la liberté n'existait pas. S'en est suivi un petit débat entre eux deux où le prof essayait de lui faire comprendre, avec sa philosophie orientale, qu'on n'est jamais totalement libre, et où elle, avec sa non philosophie, lui répondait que si puisqu'elle en était une preuve vivante.
M'agacent les gens comme ça....
Madame "courbettes" a demandé "La musique".
Et Mr autoritaire,  je ne sais plus quoi.

Ce charmant monsieur m'a ensuite fait signe que c'était à mon tour.
Bin non. J'veux rien. On est pas à la fête foraine ou pour 1 euro on a son prénom calligraphié en chinois (on peut décliner ça en "arabe", en "votre prénom sur un grain de riz", en "tatouage éphémère", en "votre caricature en 2mn30"...)
Ouh la laaaaa m'a regardé vilainement le monsieur !!!
Comme s'il était indigné dis donc !!
Je l'ai regardé d'un air moqueur et lui ai dit que "je préférais apprendre à pêcher plutôt qu'on me donne le poisson".
L'a rien dit... Suis pas sûre qu'il ait compris...
Enfin en même temps, comme il a dit : "vous me le dédicacez ? Ca me fera un souvenir"
Bin voilà mon poulet ; la voilà la différence entre nous.
Toi, t'es venu une fois, t'as vu, c'est bien, tu pourras dire "ouééééé j'ai fait de la calligraphie chinoiiiiiise" et exhiber ta feuille dédicacée ; et tu reviendras pas.
Moi, je reviendrai. Et si j'ai besoin d'écrire quelquechose, c'est MOI qui l'écrirai...

Je suis repartie de là le sourire aux lèvres (et les poches pleines de compliments ; ça fait du bien à l'égo).

J'ai scanné une de mes feuilles d'"exercices".
J'ai tracé un des deux idéogrammes, l'autre l'a été par le prof.
A votre avis, lequel est le mien ?