Chat-virée

Il y a fort longtemps, je cherchais du travail.
Sans diplôme particulier (enfin si mais un qui sert à rien), j'avais... un peu du mal.
Et puis.. un jour... je tombe sur une annonce qui fait plus que tilt.
Un organisme de bienfaisance animale bien connu recherchait un employé.
Je n'ai rien vu d'autre que ces trois lettres...
Cette grande, cette immense institution, que je plaçais sur un piédestal.
Et en plus... un refuge que de chats.
Haaaaaaaaaaaaa !!!

Je postulais donc.
Et fus convoquée.
Je ne sais pas si j'ai déjà été aussi excitée avant un entretien...

Malheureusement, c'était un mi-temps (tant pis, je verrais, du moment que je bossais pour eux !), mais surtout... un contrat aidé.
N'étant pas chômeuse depuis suffisamment longtemps, je n'y avais pas droit...
Je repartis donc la queue (de chat) entre les jambes, tête basse.

Quelques jours plus tard, ils me rappelaient pour me proposer un mi-temps pas aidé, tant pis.
Je bondis de joie.
Le jour où je commençais, ils me proposaient un temps complet.
Mon bonheur était total.
Et le lendemain, on me proposait le poste de co-responsable du refuge, à 45h, avec le logement de fonction....
J'étais dans un rêve !

Croyais-je, du moins.

Je n'y suis restée je crois que quatre mois.
Mais en quatre mois.... Je me suis plus endurcie qu'en plusieurs années.
Je crois qu'après la misère en Afrique, c'est ma deuxième plus grosse claque.

Oh ! Bien sûr, je savais à quoi m'attendre.
On voit bien à la télé, dans les reportages et les pubs que ces animaux sont malheureux ;  on pleure bien dans nos chaumières.
Mais comparé à la réalité....

Ca a commencé comme ça :
Un matin, je suis entrée dans l'infirmerie pour donner à manger et nettoyer les cages.
Un chat était par terre, mort. Raide.
Il était tombé de sa cage pendant la nuit, mourrant, et était mort comme ça, seul, par terre....
Ca faisait quelques jour que j'étais là.
Alors, ma co-responsable m'a dit : "Bein faut le mettre au congélo"
Elle était comme moi nouvelle.
"Je... je... je peux pas"
Tétanisée, j'étais.
"Ah bein moi non plus je peux pas hein !!! Si jamais je fais ça, je pleure toute la journée !!"
Et elle se barre.
Et me voilà seule face à ce chat raide, défiguré....
Bin et puis. Il se passe quoi ? Personne ne le ramasse ce chat ? Il va pourrir là ? Bin non, c'est pas possible. Alors on fait quoi ?
.....
Ne pas penser : aller chercher le sac poubelle-mettre le chat dedans-fermer le sac-le mettre au congélateur-retourner bosser et passer à la suite.
Surtout, ne pas penser.

Question : Que devient le chat lorsqu'il meurt dans un refuge ?
Réponse : On le met au congélateur dans un sac poubelle, et un camion, celui de l'écarisseur, vient une fois par semaine chercher la cargaison.
On sort les sacs poubelles, et on les balance dans le camion.
On referme le congélateur vide... prêt à recevoir les candidats suivants.
Vous vous étiez déjà demandé comment ça se passait ?
Bein comme ça....

La cadence, la moyenne était le suivante : un chat par jour.
Attention ; je ne dis pas qu'on les endormait.
Jamais on n'en a endormi un seul.
Ils mourraient tout simplement.
De maladie.
Il y a des pathologies propres aux refuges.

Pensez donc ! 400 chats dans un refuge prévu pour 200... Y'avait de quoi faire hein !
Et sur ces 400, une petite trentaine d'adoptables.
Sachez, mesdames et messieurs, que les gens ne veulent pas de chats adultes.
Dommage, à quelques rares exceptions, il n'y a que ça, dans les refuges....
Alors quand on arrivait à faire adopter un chat... C'était la fête à Neuneu....

La deuxième semaine, je suis restée auprès d'un chat mourrant jusqu'à ce que, justement, il meurt....
Vous saviez que les chats ronronnent lorsqu'ils meurent ?
Bein maintenant vous le savez.
Moi, ça fait longtemps que je le sais...
C'est dur quand on a 23 ans...

J'ai appris à faire les piqures sous cutanées aux chats aussi....
Le pauvre premier chat auquel j'ai été obligée d'en faire....
Par la force des choses, j'ai dû faire cette piqure sans aucune formation.
Tout ce que je savais, c'était ce que j'avais vu : soulever la peau et enfoncer l'aiguille.
Le premier coup, l'aiguille ne voulait pas rentrer.
Alors j'ai appuyé un peu plus.
Ca a la peau dure un chat vous savez !
Toujours pas... Alors j'ai appuyé encore un peu plus.... Elle est rentrée cette fois ci.
Mais elle est ressortie de l'autre côté.
Le pauvre chat... J'en ai pleuré pour lui....
Il ne bougeait pas ; il n'était pas mourrant, loin de là, mais on dirait qu'ils savent quand ils ne doivent pas se débattre, que c'est pour leur bien...
J'ai finalement réussi.

C'est grâce à cette grande institution aussi que j'ai appris... à quel point l'humain peut être con !!!
C'est quoi l'acharnement thérapeutique ? Bein viendez voir, j'vas vous expliquer !!
Un chat ayant un cancer du museau, qui n'en avait quasiment plus, de museau, justement, qui n'avait plus qu'un trou à la place, était maintenu en vie sous morphine parce que "pov' bête ; faut pas la tuer !"
Connasse....
Ce chat était en cage, souffrait, ne serait jamais adopté, ses jours étaient comptés, mais NON !
J'ai fait tout ce que j'ai pu pour l'euthanasier, mais n'ai pas eu gain de cause.
Il a fini de mourir de sa belle mort (figure de style appelée... je ne sais pas ; ironie, sarcasme, le tout teinté d'amertume et de dégout).

Parce qu'il faut savoir qu'un bénévole a TOUJOURS raison.
Même s'il est le dernier des cons, il travaille gratuitement et a donc raison.
Je suis d'accord sur le fait que toutes ces institutions de bienfaisance ont besoin des bénévoles.
Mais pas à n'importe quel prix....

Tous ces bénévoles avaient un problème ; tous. Ca allait de la femme qui n'avait jamais pu avoir d'enfant à celle qui ne supportait pas d'avoir arrêté de travailler et continuait son métier d'infirmière sur les chats, en passant par le SDF qui se bouffait sa boite froide de lentilles tous les matins à 10h00...

Un jour, au tout début, la vétérinaire du dispensaire m'a dit "Et... vous comptez faire quoi de votre vie ?"
Ce à quoi j'ai répondu d'un classique "Me marier, vivre heureuse et avoir beaucoup d'enfants".
Elle m'a regardée, a souri, et m'a dit "Vous ne resterez pas longtemps ici".
Elle avait raison.
Elle non plus n'est pas restée.

Cette note est déjà bien longue, et je pourrais noircir encore des pages et des pages ; croyez ce que vous lisez, ce n'est pas une fable pour magazine qui se vend bien, ce n'est pas un mail qui tourne pour faire pleurer devant son ordi.
C'est la triste réalité ; ou plutôt une infime part de cette triste réalité.
Toutes ces lignes pour juste raconter quelques mois ; quelques mois qui m'ont appris bien des choses. Et notamment :
- A quel point l'humain peut être con
- A quel point la misère animale est grande
- Que cet organisme que je mettais sur un piédestal n'est en fait qu'une immense machine administrative difficilement muable... Se battre contre un moulin à vent, à côté, c'est une partie de plaisir.
(ceci étant dit, s'ils n'étaient pas là.... on serait mal quand même hein ; faut reconnaitre !)